Inondations à répétition, sécheresse, érosion côtière… Le coût des dégâts, sans cesse croissants, provoqués par les catastrophes naturelles sera-t-il toujours absorbable par le marché de l’assurance ? Faut-il craindre un désengagement de certains marchés, faute de rentabilité ? L’occasion de nous questionner sur le principe même de mutualisation des risques. Notion fondatrice de l’assurance, elle doit être protégée pour éviter de voir émerger les « zones blanches de l’assurance » et une France à deux vitesses.

Zones blanches de l’assurance : de quoi parle-t-on ?
Le risque climatique a littéralement changé d’échelle. Y compris en France. Mégafeux en Gironde, fonte des glaciers dans les Alpes, sécheresse en Occitanie ou en Bourgogne-Franche-Comté… Si toutes les régions sont impactées, certaines restent beaucoup plus exposées que d’autres. Soulevant la délicate question de leur habitabilité.
En haut de la liste des risques naturels en France : les inondations, qui ont directement entraîné le déplacement de centaines de personnes dans les Hauts-de-France depuis fin 2023. Un risque qui concerne 5,1 millions de Français répartis dans 16 000 communes. Ce qui représente 27 000 km2 de surface inondable (1). On appelle zone inondable un espace reconnu comme étant potentiellement submersible par un cours d’eau ou par la mer. Il existe ainsi 3 zones d’habitation allant de la zone blanche (aucun risque spécifique) à la zone rouge (où le risque est trop élevé pour y construire une habitation).
Alors pourquoi parle-t-on de « zones blanches de l’assurance » ? Plutôt par analogie avec les territoires non couverts par les opérateurs mobiles : les fameuses « zones blanches », sans réseau. Les territoires vulnérables sont-ils ainsi condamnés à se retrouver dépourvus de couverture assurantielle ? Car les dégâts sur les logements, les infrastructures et les sols – qu’ils soient occasionnés par des événements extrêmes ou des phénomènes plus lents et progressifs – restent considérables. Et leur coût a littéralement explosé ces dernières années. Il pourrait même croître de l’ordre de 50% à l’horizon 2050(2). Le système assurantiel peinant de plus en plus à absorber des pertes massives et répétées, le risque d’un désengagement plane inévitablement sur certains territoires. Comme à Breil-sur-Roya, une commune des Alpes-Maritimes durement touchée par la tempête Alex de 2020, qui s’est ainsi retrouvée sans assurance, poussant son maire à prendre un arrêté inédit « interdisant les catastrophes naturelles ». Une façon de dénoncer par l’absurde la gravité de la situation.

La nécessaire adaptation du modèle assurantiel
Conscient d’être à un tournant de son histoire, le secteur de l’assurance a enclenché sa transformation. Le rapport Langreney sur l’assurabilité des risques climatiques, première base de discussion inédite sur le sujet, a élaboré en 2024 des recommandations d’adaptation du modèle. Parmi elles, certaines se concrétisent aujourd’hui, comme le nécessaire rééquilibrage du régime CatNat (abréviation de « catastrophe naturelle »)(3). La surprime prélevée sur les contrats d’habitation est ainsi passée de 12 à 20 % depuis le 1er janvier 2025, et de 6 à 9 % sur les contrats automobiles.
Dans la continuité, le PNACC 3 (4) a dévoilé début 2025 d’autres mesures concrètes et opérationnelles pour préparer la France à faire face aux nouvelles conditions climatiques.
La plus attendue ? Celle concernant le fonds Barnier qui a vu son budget passer de 225 à 300 millions d’euros. Une somme qui reste cependant inférieure aux attentes de bon nombre d’acteurs du secteur, qui mettent en avant les chiffres de la Caisse centrale des assurances : 1€ investi par le fonds Barnier réduit de 8€ les dommages à indemniser.
Autre mesure significative du PNACC 3 pour lutter contre la démutualisation : le lancement d’un Observatoire de l’assurabilité(5) pour cartographier les zones les plus exposées aux dangers climatiques, tels que les inondations ou les incendies, et analyser leur couverture assurantielle(1). Ici l’objectif est double : renforcer la transparence des pratiques du secteur de l’assurance et suivre l’évolution de la segmentation des risques opérée par les assureurs(6).
Pour maintenir l’engagement des compagnies d’assurance dans les territoires à risques, le plan prévoit également des incitations financières via la Caisse centrale de réassurance. Un moyen d’éviter que certaines zones ne deviennent tout simplement inassurables.
À plus grande échelle, cet Observatoire s’inscrit dans une stratégie nationale articulée autour de la prévention des risques et d’un suivi plus transparent, à l’aide d’indicateurs dédiés. Une initiative qui pourrait bien marquer un tournant dans la transformation du modèle assurantiel français, à l’heure du changement climatique.
Au total, ce sont 52 mesures qui ont été avancées par le gouvernement pour maintenir la possibilité pour chacun de s’assurer contre les risques naturels.

Réaffirmer le rôle social de l’assurance pour faire face aux défis de demain
Le rôle de réparation est intrinsèque au secteur de l’assurance. Réinventer le modèle assurantiel, c’est préserver, voire renforcer ce rôle historique pour continuer à indemniser, réparer et protéger chacun. Et éviter une France à deux vitesses entre ceux qui auront les moyens de se protéger et ceux qui ne le pourront plus.
L’augmentation des primes, bien que naturelle, ne constitue cependant pas une solution pérenne. Chacun doit pouvoir se protéger. Au cœur du sujet : préserver le principe de mutualisation et la dimension collective de la protection d’assurance. Plus la mutualisation s’étend, plus elle renforce la communauté des assurés.
À ce titre, les assureurs mutualistes assurent un rôle fondamental dans la garantie d’un modèle solidaire, juste et soutenable. C’est par exemple dans cet esprit que la Macif et l’École normale supérieure (ENS) ont lancé la Chaire de recherche « Changement climatique : nouvelles fractures, nouvelles mutualisations ». Le but ? Structurer une approche pluridisciplinaire pour favoriser l’émergence de solutions de mutualisation.
Pour faciliter l’indemnisation des assurés, l’assurance « classique » peut aussi s’appuyer sur des solutions complémentaires. Comme l’assurance paramétrique(7) qui permet par exemple de gagner en rapidité dans les vérifications mais aussi dans les versements après des événements extrêmes. Abeille Assurances s’est ainsi dotée d’un outil prometteur pour maîtriser davantage la sinistralité climatique : le Weather Claim Control qui en quelques clics vérifie si un sinistre peut être indemnisé au regard des conditions climatiques. Quant à l’intelligence artificielle, elle pourrait s’avérer plus qu’utile pour une gestion proactive des risques, mais aussi des solutions de prévention sur mesure. Car si réparer est dans son ADN, le secteur de l’assurance doit désormais endosser ce nouveau rôle : celui de la prévention. Au-delà de la prévention d’urgence et de la mobilisation locale, l’adaptation des territoires est primordiale, il en va de leur habitabilité et de leur assurabilité.
Les assureurs ne peuvent cependant pas assumer seuls les conséquences du changement climatique. Développer une culture du risque, informer les citoyens, maîtriser l’urbanisation, privilégier les solutions fondées sur la nature, adapter les constructions… Il s’agit de bâtir une France qui sera mieux protégée demain. À ce titre, Aéma Groupe plaide pour un meilleur partage du sort. Ou comment renforcer la résilience du secteur assurantiel français avec une chaîne de responsabilité qui part de l’assuré, en passant par les assureurs et les réassureurs allant jusqu’aux pouvoirs publics.
—
(1) Sources : ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires
(2) economie.gouv.fr avril 2024
(3) Le régime CatNat est une spécificité française, un régime de protection contre les catastrophes naturelles fondé sur la solidarité nationale. Il permet depuis 1982 – avec succès – l’indemnisation des particuliers, entreprises et collectivités en cas de situation déclarée « catastrophe naturelle »
(4) Le PNACC 3 est le troisième Plan National d’Adaptation au Changement Climatique
(5) L’Observatoire de l’assurabilité sera porté par la Caisse Centrale de Réassurance (CCR), l’opérateur public qui gère le régime français des catastrophes naturelles
(6) CCR, 2023
(7) L’assurance paramétrique repose sur des paramètres objectifs et mesurables comme la température, la force du vent ou la pluviométrie